UN JOUR, TOUT S'EST ARRÊTÉ
« Après la Tunisie, je suis arrivé en France pendant l’occupation et alors j’ai connu autre chose, j’ai découvert une nouvelle façon de se vêtir, une nouvelle façon de manger, une nouvelle façon d’aborder des arbres... etc... qui produisaient des fruits inconnus, et puis ensuite à la fin de la guerre j’ai entendu cette histoire d’Oradour. On a entendu un soldat sortir de chez lui en disant "nous allons brûler le village", ma mère a entendu la même chose, ils parlaient le français, et finalement ça m’a frappé et j’ai traduit ça toute ma vie, toute ma vie, et je me suis dit quand je serai plus mûr, quand je serai plus sûr de ce qu’est pour moi la peinture, je ferai l'histoire d’Oradour. J’avais déjà fait Oradour-sur-Glane, j’avais envie de faire une grande toile, le problème ne se posait pas. Mais je me suis rendu compte que les années passant, je n’étais pas satisfait de ce que j’avais fait. J’ai fait ce que vous voyez là, des choses qui n’en finissait pas et quand j’avais fini les premières, je me disais il faut que j’en fasse encore, encore autre chose, et encore autre chose à dire, et finalement j’aurais pu continuer pendant des années, des années à raconter le massacre parce que c’est une chose qui m’épouvante, c’est une telle horreur et une telle erreur de l’humanité que c’est impossible de l’absorber. » Gabriel Godard
Pressés par le temps et voulant venger, avant leur départ, l'assassinat d'un général allemand qui venait d'être commis par les résistants, les troupes commandées par Von Brodowski investissent le village d’Oradour-sur-Glane le 10 juin 1944, en début d'après-midi. Après avoir rassemblé le village sur le champ de foire prétextant une vérification d’identité, les SS séparent les hommes des femmes et des enfants. Un interprète les a alors avisés qu'un commandant allemand portant beaucoup de décorations avait été tué à quelques kilomètres d'Oradour, et que les autorités allemandes savaient qu'il existait un dépôt de munitions dans la localité.
Les premiers sont enfermés dans des granges que les soldats décident d’incendier, pendant que les seconds sont envoyés à l’église que les SS font exploser. Pour s’assurer qu’il n’y ait aucun survivant, les soldats tirent aveuglément sur les bâtiments en ruines. Au total 642 victimes. Parmi elles, 246 femmes et 207 enfants, dont 6 de moins de 6 mois. Oradour-sur-Glane est devenu le symbole de la barbarie nazie.
Oradour-sur-Glane: après le massacre du 10 juin 1944, Le Figaro reconstitue les heures tragiques
LES ARCHIVES DU FIGARO - Il y a 75 ans des SS anéantissaient le petit village de la Haute-Vienne et sa population. Récit de cette journée dramatique par un collaborateur du Figaro présent ce jour-là à proximité des lieux, publié en 1949 dans nos colonnes.
Par Véronique Laroche-Signorile
Publié le 7 juin 2019
La tragédie d’Oradour
Cette journée du 10 juin 1944 est belle en Limousin. Les prés sont lourds de fourrage, les champs prometteurs d’une bonne moisson. En outre, les nouvelles du récent débarquement des Alliés en Normandie apportent l’espoir.
Intérieur de l’église d’Oradour-sur-Glane, où furent enfermés les femmes et les enfants, avant que les SS n’y mettent le feu le 10 juin 1944. Rue des Archives/Rue des Archives/Tallandier
Rarement, il y a eu autant de monde à Oradour-sur-Glane, gros bourg de l’arrondissement de Rochechouart. La région est riche et tranquille. On vient d’y évacuer des enfants de Nice, d’Avignon, de Montpellier et de Bordeaux, qui ont retrouvé sur place de nombreux petits Lorrains.
Les auberges d’Oradour sont réputées. Des habitants de Limoges, des promeneurs sont venus passer le week-end à la campagne et se ravitailler. De plus il y a distribution de viande et de tabac, ce jour; aussi de nombreux cultivateurs des environs sont descendus au bourg.
À l’hôtel Avril et à l’hôtel Milord on vient de servir le déjeuner. Des pensionnaires sont arrivés le matin même: une dame et ses trois enfants fuyant les bombardements de la région parisienne, un ménage de Bordeaux; d’autres sont repartis à 10 heures: un couple de jeunes mariés. Aux tables d’hôte, on parle, on plaisante.
Deux jeunes institutrices stagiaires, âgées de vingt ans, quittent vers 13 heures la salle à manger de l’hôtel Milord. L’une, Mlle Conty, accompagne jusqu’à l’entrée du bourg sa collègue détachée dans un village voisin et gagne ensuite son école. Elles ne devaient plus se revoir.
L’arrivée des SS
Il est 14 h15 lorsqu’un convoi de camions allemands arrivant par la route de Limoges s’arrête dans la partie basse du bourg. Les soldats —environ deux cents— sont tous jeunes, casqués et revêtus d’amples vestes de camouflage mouchetées de vert et de jaune.
Trois camions et deux chenillettes se détachent du convoi et parcourent la rue principale. Aussitôt le village est en émoi. Est-ce un convoi qui cherche sa route ou un lieu de cantonnement? On le pense d’abord, puisqu’aucun combat entre le maquis et les Allemands ne s’est déroulé dans les environs d’Oradour.
Un officier de SS entre à la mairie, et peu après le tambour de ville, M. Deplerrefiche passe dans les rues, lisant un ordre enjoignant aux habitants de se rassembler sur la place du Champ-de-Foire pour vérification d’identité.
Aussitôt les SS, mitraillette au poing, se répandent dans le bourg, frappent aux portes des maisons et indiquent par geste aux villageois de se rendre rapidement au lieu de rassemblement. Déjà les brutalités commencent: Mme Binet, directrice de l’école, malade, est obligée de se lever et de sortir de sa maison en pyjama. Un vieillard paralytique est tiré de son lit et porté à bras jusqu’au champ de foire, où affluent les autres habitants.
Cependant, certains se cachent: M. Senon qui a eu la jambe brisée au cours d’une partie de football, se dissimule dans une petite chambre; M. Doutre trouve un refuge dans un caveau du cimetière; M. Desourteaux rampe dans un jardin; M. Besson se glisse sous le lierre d’un mur.
Le jeune Roger Godfrin et un autre rescapé, le cordonnier Machefer, lors du procès d’Oradour-sur- Glane au tribunal militaire de Bordeaux, le 13 janvier 1953. AGIP/Rue des Archives/AGIP
Dans les trois écoles, la classe a commencé quand les Allemands arrivent. Ils ordonnent aux maîtres et aux enfants de les suivre. À l’école de garçons le chef du détachement de SS déclare au directeur, M. Rousseau, qu’on craint une escarmouche du maquis et qu’il faut conduire les enfants à l’église pour assurer leur sécurité.
Les SS sont très calmes. Certains rient. Les enfants n’ont pas peur. Seul, un petit Lorrain. Roger Godfrin, âgé de neuf ans, dit à un de ses camarades: «Ce sont des Allemands... Ils vont nous faire du mal!» Il se glisse vers la fenêtre et profitant d’un moment d’inattention des soldats, il saute dans un jardin et se dissimule derrière un massif. Quand le cortège des enfants quitte l’école, Roger Godfrin se sauve vers les bois voisins. Sa petite taille lui permet d’échapper aux sentinelles.
Ce fut le seul enfant qui échappa au massacre d’Oradour.
Dans la campagne, autour du village, des chenillettes allemandes patrouillent; des camions vont chercher les habitants des hameaux voisins. À Bordes, aux Brégères et à Puygaillard. Ils les amènent au champ de foire. Quelques-uns essayant de fuir à travers champs sont abattus.
Ils entassent sur nous de la paille, des ridelles de charrette, des échelles, des fagots et y mettent le feu. Yvon Roby, un rescapé
À 15 heures le rassemblement de la population est terminé. Les Allemands forment deux groupes: d’un côté les femmes et les enfants; de l’autre les hommes. Le premier groupe est alors conduit à l’église par une dizaine de SS. Les hommes ont été contraints de s’asseoir sur le bord du trottoir. Un interprète allemand déclare: «Nous allons perquisitionner pour chercher des dépôts d’armes. (Il n’y en avait aucun à Oradour.) Pour faciliter les opérations, nous vous rassemblerons dans les granges.»
À 15h30 les hommes sont repartis dans les granges Landy, Milord, Desourteaux, Denis, Bouchoule et dans le garage Beaulieu. Tout se passe avec ordre. Aucun signe de nervosité chez les Allemands.
Les rescapés du massacre
Dans la grange Landy, une quarantaine d’hommes sont réunis. Parmi eux, cinq jeunes gens: MM. Roby, Hébras, Borie, Darthout et Broussaudier, qui seuls échappèrent au massacre. Leur témoignage, que nous avons recueilli quelques jours plus tard, nous a permis de reconstituer exactement les faits.
Les SS demandent à des hommes de sortir les deux charrettes qui se trouvent dans la grange Landy. À l’entrée du bâtiment quatre soldats installent des mitrailleuses. Ne trouvant pas l’emplacement de leurs armes assez propre, ils le font balayer par un des prisonniers.
Corps de victimes après le massacre, le 10 juin 1944, des villageois d’Oradour-sur-Glane, en Haute- Vienne. Rue des Archives/©Rue des Archives/RDA
«Ils nous regardent, nous a déclaré M. Roby. Ils ont à peine vingt ans. Ils rient entre eux et se distribuent des morceaux de sucre qu’ils croquent. Nous attendons, inquiets, massés contre le mur de la grange. Cinq minutes passent. Dans une maison voisine un Allemand fait marcher la radio. Soudain un coup de feu retentit comme signal. Les SS en poussant des cris, se penchent sur leurs armes et tirent. Je me laisse tomber à plat ventre. Des corps me recouvrent.»
Marguerite Rouffanche unique témoin du massacre des femmes et des enfants qui eut lieu dans l’église lors de la tragédie d’Oradour-sur-Glane en juin 1944. Rue des Archives/Rue des Archives/Tallandier
Mme Rouffanche, qui a vu sa fille tuée d’une balle à côté d’elle, se glisse derrière le maître-autel. À l’aide d’un escabeau elle atteint un vitrail brisé et se précipite à l’extérieur d’une hauteur de trois mètres. Une jeune femme tente de la suivre en serrant son bébé dans ses bras. Elle saute à son tour, mais les Allemands alertés par les cris tirent. La femme et l’enfant sont tués. Mme Rouffanche, blessée de plusieurs balles, a la force de se traîner vers un champ de petits pois dont les rames la dissimulent. Elle ne fut trouvée que le lendemain à 17 heures, par des cultivateurs, après le départ des SS et rapporta ce qui s’était passé.
« Oradour renvoie à tous les conflits »
Une question le taraude : « Ai-je été à la hauteur ? » Il se rassure quand en regardant son chef d’œuvre, les gens font référence au Guernica de Picasso. « Quoi qu’il en soit, je suis soulagé d’avoir écrit tout ça, parce que ce drame me poursuivait jusque dans mon sommeil. Comme me hante le moment où la vie fait place à la mort, confie-t-il. Oui, c’est mon obsession. Oradour renvoie à l’instinct cruel qui pèse sur la nature humaine comme une malédiction, Oradour renvoie à tous les conflits, à toutes les horreurs qui se déroulent encore, comme en ce moment en Syrie, sous nos regards impuissants. »
Roberte JOURDON. 2013
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